De Sherlock Holmes à Mayerling

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De Sherlock Holmes à Mayerling (From Sherlock Holmes to Mayerling) is a French Sherlock Holmes pastiche written by Joseph Quintin (aka Marc Daubrive) published in Les Maîtres de la Plume (vol. 5 No. 3) in february 1929.


De Sherlock Holmes à Mayerling

De Sherlock Holmes à Mayerling
Les Maîtres de la Plume (february 1929, p. 19)
De Sherlock Holmes à Mayerling
Les Maîtres de la Plume (february 1929, p. 20)
De Sherlock Holmes à Mayerling
Les Maîtres de la Plume (february 1929, p. 21)

M. Conan Doyle oublia d'envoyer son héros faire enquête à Mayerling. Le sujet cependant méritait le voyage. Sherlok Holmès eût là-bas trouvé matière à ses déductions favorites. Je sais peu de problèmes historiques plus émouvants, peu qui aient aussi tenté la plume des chroniqueurs, peu qui restent à ce point irrésolus — trois motifs, il est vrai, de s'y intéresser encore.

La solution le plus communément adoptée eut celle d'un suicide par amour. Le drame passionnel est agréable aux imaginations parce qu'il explique une folie par une autre folie. Ce qui m'étonne dans cette solution, c'est que sa simplicité n'ait trouvé de partisans que fort longtemps après le drame, tandis que, dans les heures qui le suivirent immédiatement, elle fut généralement écartée. On peut aussi se demander quel motif pouvait faire incliner à cette fin tragique deux amants assez libres d'eux-mêmes relativement et qui avaient le pouvoir de supprimer tous les obstacles...

Une autre opinion est que Rodolphe et Méric furent assassinés à coups de bouteilles de champagne, à l'issue d'un repas copieux. Avant que le New-York Herald — cité le 9 décembre dernier par Paris-Midi — eût publié cette thèse, et attribué l'assassinat à Jean de Toscane, je la lisais dans l'intéressant volume de M. Aderer, Chez les Rois, selon qui Rodolphe aurait été assassiné par le fiancé de Marie, un jeune Baltazzi, au dessert d'un banquet. Il s'agirait donc alors d'un drame de la jalousie.

Enfin la troisième version serait d'une affaire politique assez mystérieuse où le prince héritier compromis aurait trouvé la mort — soit par une disparition volontaire pour préserver son honneur, soit qu'on l'ait supprimé pour écraser le complot dans l'oeuf. Cette version est celle de la comtesse Larish, du baron Mitis, de Neukomm et du comte Polzer Holditz — tous gens assez bien informés.

Ainsi le public peut choisir selon son tempérament et ses sympathies, entre un Léopold romantique atteint du mal du siècle et un ambitieux atteint du mal de régner prématurément. Mais Sherlock Holmes ne se fût pas contenté d'une impression superficielle et son enqête ne se fût pas réduite à la lecture des gazettes. Il faut agir comme il l'eût fait, et prendre pour base de discussion la connaissance du milieu où vivait Rodolphe et de son humeur personnelle.

Qu'on a souvent écrit de cette famille des Hasbourg avec qui s'en est allée, de drame en drame, la fortune de l'Autriche !... Cent fois on a rappelé la lugubre destinée guettant la plupart de ses princes et princesses. Elle évoque en moi celle de la famille des Atrides, en pleine légende grecque.

En 1888, quelques mois avant le drame de Mayerling, la situation de la monarchie double était fort triste. Battue depuis un siècle dans toutes ses guerres, et par queqlue ennemi que ce fût, l'Autriche était devenue la vassale de Berlin qui dictait sa politique extérieure à l'héritier de Charles-Quint !...

Le vieil empereur François-Joseph n'est plus dans sa Holburg impériale qu'un enfant gateux à brusques sursauts d'autoritarisme, tenu en laisse par Bismarck, les jésuites et sa bonne amie Katerine Schratt. Ses journées se passent à répondre « Amen » à l'Allemagne, à présider les congrès eucharistiques ou à papoter avec sa vieille maitresse. Quant à l'impératrice, elle se livre aux joies du cirque pour l'amour des écuyers, ou se fait surprendre avec le comte Esterhazy, avec le capitaine Middleton... dont elle pleure le départ de toutes ses larmes. Le reste de son temps se passe à se faire administrer des soins extraordinaires pour ne pas vieillir. C'est le grand objet des soucis de Tante Cissi. Elle déteste ses enfants qui lui infligent son âge. Elle couche en s'appliquant des escalopes de veau sur l'épiderme. Quatre femmes de chambres s'occupent à la sangler pour maintenir ses formes, etc...

Ainsi du pouvoir... Aussi la monarchie se décompose. Les Tchèques attendent avec impatience l'heure de la dislocation. Les Hongrois, malgré le compromis de 1867, s'agitent continuellement, et les complots à Budapest, succèdent aux complots, les émeutes aux émeutes. Le revolver est d'usage courant pendant les séances de la Diète.

Voilà le cadre. Étudions les héros du drame.

Des publications récentes, rendues possibles aprés la guerre et la révolution de Vienne, ont permis de fixer leur caractère véritable : lettres de Rodolphe publiées en 1922, par l'éditeur Rikola, et l'ouvrage du baron Mitis, ancien directeur des archives de l'Etat : La Vie du kronprinz Rudolf.

Jusqu'alors présenté comme un jeune premier exclusif n'occupant sa vie qu'à la chose d'amour, débauché, paresseux, égoïste, Rodolphe apparait tout à coup un profond philosophe, un politique clairvoyant. On n'admettait en lui que l'amant de Marie Vetsera, le prince négligeable suicidé lâchement pour des causes passionnelles mal élucidées. Or, à feuilleter son journal, nous découvrons qu'il eut bien d'autres soucis, bien d'autres idées d'ordre infiniment plus relevé.

C'est d'abord un anticlérical convaincu, par où il rappelle son ancêtre Joseph II : Les prêtres ont fait plus de mal que de bien à l'humanité.

Il déteste l'aristocratie qui exploite le peuple, répète-t-il plusieurs fois.

Il juge la monarchie autrichienne une grande ruine qui subsiste aujourd'hui, mais qui devra périr indubitablement, qui n'a la force de résister que parce que le peuple se laisse conduire aveuglément.

Il déteste la politique allemande qui s'appuie exclusivement sur ses baïonnettes, qui n'est animée par aucun sentiment, par aucune idée de civilisation ou de progrès, et qui n'exercera jamais la même influence que la France ! Aussi en revanche exalte-t-il la République française qui douze ans après Sedan donne la preuve éclatante qu'une République peut en Europe faire de granules choses, et pour laquelle il éprouve me profonde sympathie.

Il abhorre Bismarck qui considère l'Autriche comme un instrument docile dont il se sert pour pousser ses avantages dans les Balkans.

Il vilipende les souverains secondaires de l'Allemagne bande absolument immorale de petits potentats égoïstes et sans patriotisme, toujours prêts à nu opportunisme honteux.

Enfin il estime à sa juste valeur le Kaiser Guillaume tout à fait antipathique, l'homme fait pour amener un grand désordre dans la vieille Europe, avec son étroitesse, opiniâtre comme un taureau, et qui se considère le plus grand génie du monde.

Tel se présente aujourd'hui à nous le prétendu amoureux lâche, qui fut en réalité un prince merveilleusement perspicace, ayant compris le point d'avillissement où sont tombées à la fin du XIXe siècle les grandes monarchies décadentes. On saisit alors toute la portée de cette déclaration de la princesse Louise de Belgique dans ses Mémoires : Léopold est mort de dégoût.

Passons à l'héroïne.

Elle semble pétrie pour fournir un personnage à la Légende ou à la tragédie. Mais pour elle encore, il faut détruire certaines opinions qui la présentent comme une jeune fille innocente et subornée peut-être par l'archiduc. La vérité est tout autre...

Marie Vetsera — ou Veczera — rapportait du Caire, d'où elle venait avec sa famille, une expérience précoce et raffinée des choses de l'amour. Sa liaison avec un officier anglais l'avait initiée. C'était d'ailleurs une fille sensuelle et nerveuse dont Rodolphe dit qu'elle le fatiguait. Il semble qu'elle l'ait conquis et retenu par les sens. Il est certain qu'elle se jeta littéralement à son cou et lui écrivit la première pour solliciter un rendez-vous. Son attitude, pendant toute cette liaison, qui dura près de trois ans — et non six mois comme on l'a écrit — fut hardie et provocante. Dans certain bal, à l'ambassade d'Allemagne, elle fit scandale par son insolence à l'égard de Stéphanie, femme de Rodolphe. Elle ne chercha jamais à dissimuler. Ses rendez-vous au Prater se donnaient en plein jour. Elle semble désirer de s'afficher avec le prince. Elle eut enfin de lui — le 6 juillet 1888 — six mois avant le drame, une fille qui fut comme elle d'une grande beauté, et qui mourut à Londres en décembre 1919.

Sa mère, la baronne Vecsera, d'origine grecque, était une intrigante qui prodiguait son capital afin de jeter la poudre aux yeux et de caser superbement ses filles. Elle fut d'une complaisance absolue à l'égard des intrigues de Marie et chargea la comtesse Larish de négocier avec Rodolphe les conditions du marché. Elle avouait qu'elle eût voulu vivre à Versailles au temps où les maîtresses de rois étaient admises à la Cour et honorée. Or, Rodolphe n'ignorait rien de la corruption de cette famille et savait à quel taux les apprécier. D'ailleurs il en avait vu bien d'autres autour de lui, à Vienne...

Tels sont les héros, les personnages et le cadre du drame.

Sherlock Holmes, d'après ces éléments, aurait-il découvert le motif qui détermine un suicide d'amour ?

Je ne le pense pas.

Rien n'oblige Rodolphe et Marie à quitter l'existence. Ils sont assez forts l'un et l'autre pour écarter les obstacles. Et quels obstacles !

Une mère aux idées larges... une cour dépravée... une épouse résignée ?...

Et s'ils étaient las l'un de l'autre, ils ne sont plus des enfants. Ce n'est pas leur première passion, ils sont accoutumés aux ruptures.

Non, à moins d'une crise de folie, deux amants satisfaits et puissants ne se donnent pas la sort en plein bonheur !

Autre chose, c'est Jean Orth.

Le New-York Herald le désigne nommément, comme l'assassin.

Sherlock Hohnes attendait d'autres preuves pour conclure aussi vite.

Mais Jean Orth — ou plus exactement l'archiduc Jean de Toscane, cousin de Rodolphe — est un personnage étrange dont l'influence sur l'héritier des Habsbourg fut considérable. Les deux cousins affichaient des idées libérales, presque révolutionnaires, que Jean inculquait à Rodolphe. Ce jean était en très mauvais termes avec l'empereur que Rodolphe n'aimait guère lui-même. Peu de temps après le drame de Mayerling, il fut disgrâcié, privé de tous ses droits et titres sans raison apparente. Alors il disparut mystérieusement.

Je ne suis pas le New-York Herald jusqu'au bout de ses révélations mais je déclare que son rôle dans le drame n'a jamais été bien défini.

Autre chose encore : c'est l'émeute éclatée à Budapest aux cris de : Vive Rodolphe ! dans les derniers jours de janvier 1889, et qui se calme aussitôt affiché le télégramme annonçant la mort du Kronprinz... J'en trouve le récit dans le livre de Newkoman (Guillaume II et ses soldats). L'auteur qui fut témoin de l'émeute se demande en vérité quel rôle joue Rodolphe en cette occasion. Quel rôle ?... Voici la réponse :

Le comte Andressy déclare à la comtesse Larish que l'amour n'est pas la seule cause du prince héritier... Jean de Toscane déclare à la même que s'il n'était pas mort, il aurait fallu le fusiller comme traître. Le comte


Polzer Holditz, ancien directeur des archives, raconte que ce même Jean Orth tua Rodolphe parce qu'il n'avait pas eu le courage d'aller jusqu'au bout. Enfin Rodolphe lui-même avoue quelques jours avant le drame que le danger qui le menace est d'ordre politique, qu'il est an bord d'un gouffre, etc..., etc...

Sherlock Holmes ne s'étonnait pas, à ce que je suppose, que ces deux hommes, unis dans la détestation de l'état de choses actuel et dans le mépris inspiré par la Cour — et par l'Empereur — eussent préparé un coup d'Etat. De ce coup d'Etat, Marie eût été la bénéficiaire, en devenant peut-être reine de Hongrie. Rien ne s'oppose à ce qu'elle en ait admis l'idée, elle qui déclarait, l'avant-veille de son départ pour Mayerling : Je ne veux pas laisser Rodolphe seul au moment où il a tant besoin d'appui.

Sans accuser Jean Orth d'un crime, il me semble que Sherlock Holmes eût mené son enquête dans cette direction. Les conspirations avortées retombent en général sur la tête des conspirateurs...

C'est à cette version, franchement la plus vraisemblable, que je me suis rangé en écrivant Les Amants de Schoenbourg.

J'ai trouvé un problème posé étant donné la psychologie dévoilée récemment de Rodolphe et de Marie, et de, gens de leur entourage, étant donné certains faits inéluctables, comment les choses ont-elles dû se passer ?

Et, transposant personnages et milieu, j'ai résolu à ma façon, par les Amants de Schoenburg, l'énigme encore indéchiffrée des amants de Mayerling.


Marc Daubrive.

(Décembre 1928.)