Mme Sherlock Holmes (pastiche 4 december 1920)

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Mme Sherlock Holmes (Mrs. Sherlock Holmes ) is a French Sherlock Holmes pastiche written by Robert Destez published in Le Matin (No. 13408) on 4 december 1920.



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Mme Sherlock Holmes

Mme Sherlock Holmes
(Le Matin, 4 december 1920, p. 2)

C'est grâce au hasard d'une villégiature sur la côte anglaise que je fis la connaissance de Sherlock Holmes. Cet homme célèbre ne laissa pas de me déconcerter à première vue, tant son apparence extérieure différait de l'image créée par ma fantaisie. Il avait laissé pousser sa barbe et semblait agréer complaisamment un léger embonpoint. Sherlock Holmes, à cette époque, était marié depuis plus d'un an, circonstance qui m'avait d'abord frappé d'étonnement, mais que j'admis volontiers quand je sus que Mme Suzanne Holmes était précisément cette blonde auprès de qui je venais de boire du thé chez les O'Nels.

Je ne tardai pas à remarquer qu'elle était assidument courtisée et qu'elle ne faisait rien pour décourager tant d'aspirants à un bonheur illégitime. Quant à Holmes, il paraissait tout uniment un mari satisfait...

Il faut que le malin génie qui me poussa à m'enrôler parmi les admirateurs de la jeune femme ait été bien subtil, car je réussis dans mes coupables desseins avec une rapidité et une aisance qui me laissèrent tout stupéfait.

Je fus ainsi amené à suivre les Holmes à Londres, quand ils y retournèrent. A cette époque, un Londonien hochait la tête lorsqu'il lui arrivait d'évoquer le nom du grand conseiller de Scotland Yard. Il était entendu que Sherlock Holmes avait connu son beau temps : il convenait de lui témoigner ce respect silencieux auquel ont droit les grands hommes surmenés.

Cette opinion fut brusquement infirmée lors de l'affaire des faux monnayeurs d'Oberstown. Holmes y mit sans doute de la coquetterie. En un tournemain, la bande fut mise sous les verrous, grace à deux coups de téléphone que donna le détective sans quitter son cabinet.

D'aucuns jurèrent que c'était là le plus beau coup d'Holmes. Pour moi, je ne laissai pas d'en concevoir de l'inquiétude, dont je m'ouvris à Suzanne : elle me rendait visite, chaque jeudi, au boarding où j'étais descendu.

- Si jamais...

- Penses-tu ! me répondit avec assurance ma blonde amie, qui se glorifiait volontiers d'un langage très parisien.

Certes, j'y pensais. J'y pensais précisément le jeudi suivant, quand un heurt à ma porte nous surprit. Suzanne s'enfuit dans la pièce voisine. J'ouvris la porte. Et je me trouvai face à Holmes.

Il venait me restituer un volume que j'avais prêté à sa femme. Il considéra la chambre et ajouta :

- Je vous laisse. Je vois que je trouble une aventure.

Je protestai assez sottement. Holmes sourit, marcha vers la fenêtre, dont il souleva un rideau, considéra mon cendrier, prit entre ses doigts un bout de cigarette orientale inachevée, observa des gâteaux secs dans une assiette, se pencha sur la laine du tapis, me fixa dans les yeux et me demanda :

- Avez-vous un briquet ?

Je devais être fort pâle.

- Un briquet ? Non point ! Je me sers d'allumettes...

Holmes me prit le bras et m'entraina vers la porte. Puis il dit d'une voix égale et presque distraite :

- Mon cher ami, l'expérience que j'ai de mon métier peut servir à bien des fins ; elle me permet, en tout cas, de vous offrir un conseil : l'amie qui était avec vous et que je viens de déranger est probablement une maîtresse charmante ; méfiez-vous ! elle serait une femme détestable.

Je souris, tâchant de secouer mon embarras.

- Elle est, en premier lieu, inexacte : combien de temps l'avez-vous attendue aujourd'hui ?

Je me souvins que j'avais passé vingt minutes à fumer près de la fenêtre, guettant l'arrivée de Suzanne. Holmes poursuivait, paisible :

- D'autre part, elle manque de franchise. Elle est nerveuse et, sans doute, irritable. Coquette, puisqu'elle se farde et use d'un coûteux parfum. (J'en sais le prix, ma femme emploie le même.) Laissez-moi achever et passons au physique : elle est blonde, mais ses cheveux sont teints ; ses dents sont fines, mais deux d'entre elles, à droite, sont fausses ; une troisième va se gâter. Votre amie souffre de l'estomac : c'est pourquoi, peut-être, elle parfume son haleine en mâchant du chewing gum. Petits détails, sans doute, mais qu'il vaut mieux connaître. Ne m'en veuillez pas. Je vous laisse...

Il sortit ; et je n'eus que le temps de lui recommander, assez hypocritement, de présenter mes hommages à sa femme.

- Elle est chez une de ses tantes, me cria-t-il de l'escalier. Elle y va le jeudi et le samedi. Je n'y manquerai pas.

Je retrouvai Suzanne et admirai qu'elle eût conservé son calme. Je m'assis, tremblant encore, et ce n'est qu'après un instant que je songeai à la dernière phrase d'Holmes. Ainsi, Suzanne, le samedi également... Mais je venais de recevoir une trop subtile leçon de philosophie et je me refusai à déduire.

C'est d'ailleurs vers cette époque que je commençai à me détacher de Mme Sherlock Holmes.


Robert Destez
Association des écrivains combattants