Revue des Livres : Littérature Etrangère

From The Arthur Conan Doyle Encyclopedia

Revue des Livres : Littérature Etrangère (Book Review: Foreign Literature) is a review of seven Arthur Conan Doyle's novels written by Gaston rageot published in Les Annales Politiques et Littéraires No. 1214 on 30 september 1906.

The review was followed by a shortened version of The Red-Headed League as L'Association des Hommes Roux.


Revue des Livres : Littérature Etrangère (FR)

Les Annales Politiques et Littéraires
(30 september 1906, p. 214)
Les Annales Politiques et Littéraires
(30 september 1906, p. 215)
Les Annales Politiques et Littéraires
(30 september 1906, p. 216)

Aventures, Nouvelles Aventures, Souvenirs, Nouveaux Exploits, Résurrection, Triomphe de Sherlock Holmès ; Mémoires d'un Médecin, par CONAN-DOYLE.

C'est un lieu commun qu'on ne juge guère un écrivain d'après une traduction. C'est donc surtout à ceux qui lisent l'anglais que je recommanderai ce Conan-Doyle, qui a si souvent attiré l'attention des deux côtés de la Manche. Cependant, même avec le texte défectueux qui nous est fourni des diverses Aventures de Sherlock Holmès et, plus récemment, des Mémoires d'un Médecin, je pense qu'on pourra trouver quelque agrément au commerce de ce romancier. Conan-Doyle, en effet, n'est pas un écrivain raffiné, ni qui se complaise dans les nuances de vocabulaire, de style ou de sentiment. Il écrit une langue précise et terne, presque scientifique, et dont il suffit de respecter le sens comme pour un traité de médecine ou un rapport d'agent. Sa spécialité, c'est l'exploitation littéraire d'une certaine espèce de curiosité et de terreur, la curiosité qu'on apporte aux charades et aux problèmes d'échecs, la terreur qu'on va chercher dans les Gours d'assises et dans les théâtres de mélodrames, et, lancé par les magazines, il a tout de suite connu le grand succès et les forts tirages. Nous-mêmes, en France, nous n'avons pas été sans rencontrer quelques-unes de ses nouvelles sur une table d'hôtel, dans une bibliothèque de chemin de fer, ou dans notre journal quotidien. Une telle popularité implique que le meilleur de cet écrivain n'est point inaccessible aux lecteurs distraits ou superficiels.

Tel quel, cependant, je crois que Conan-Doyle vaut d'être mieux connu que par sa célébrité, car nous ne saurions trouver, chez nous, son analogue ni son équivalent, puisqu'il faudrait chercher surtout parmi nos spécialistes du roman-feuilleton, au-dessus desquels il s'élève infiniment.

A l'époque actuelle, en effet, dans tous les pays du monde, on reconnaîtra toujours un écrivain qui, avant d'écrire, a reçu une éducation scientifique, contracté l'habitude de la discipline dans l'observation et de la méthode dans le raisonnement.

C'est précisément le cas de Conan-Doyle. Il fut envoyé, dès l'âge de neuf ans, au collège des Jésuites de Stonyhurts, car il était Eoossais et catholique; puis il revint à Edimbourg, où il commença ses études de médecine, se fit recevoir docteur et, dans la suite, se fixa à Southsea, puis, plus tard encore, à Londres, cousine oculiste.

Mais il appartenait aussi à une famille d'artistes, son grand-père, John Doyle, ayant été un caricaturiste célèbre et anonyme, et son père, Dicky Doyle, un dessinateur distingué. De là, sans doute, un attrait pour la littérature qui fut, chez lui, si précoce qu'il avait déjà fondé un journal dans le collège des Jésuites, et aussi, peut-être, un étrange goût d'aventures, qui l'emporta vers des explorations lointaines et périlleuses. Ainsi, à vingt et un ans, il interrompait sa médecine pour s'embarquer sur un baleinier et parcourir les mers arctiques. Il visita aussi, dans des conditions également sommaires et risquées, l'Afrique, l'Asie, interrompant encore ces études alternées de l'amphithéâtre et des moeurs des hommes par de longs travaux de bibliothèque, des recherches d'histoire et d'érudition, comme celles dont témoigne l'un de ses principaux ouvrages The White Company, récit militaire du quatorzième siècle, exigeant une égale connaissance de l'Angleterre, de la France et de l'Espagne.

D'ailleurs, tous les portraits qu'on nous a faits de lui nous obligent à nous représenter ce romancier plutôt comme un homme de sport que comme un penseur de cabinet. Grand, large de carrure, avec cet air de timidité qui n'est point rare chez les musclés, il impressionne d'abord par sa force. Il a divisé sa vie en deux parts à peu près égales : celle de l'esprit, celle du corps. Il écrit le matin et le soir, et, l'après-midi, il se livre aux exercices physiques, croquet, hockey, automobilisme, ascension en skis des montagnes neigeuses, etc.

Au surplus, bien qu'il fût déjà célèbre à trente ans, Conan-Doyle est venu à la littérature graduellement. Les éditeurs lui offraient, pour ses premiers essais, des prix tellement bas qu'il préférait encore la médecine. C'est seulement après le grand succès de son ouvrage historique, et après son installation à Londres, qu'il renonça définitivement à sa profession naturelle. Il collabora alors au Strand Magazine, et c'est là qu'il commença la publication des Aventures de Sherlock Holmès, qui lui valurent sa réputation européenne.

Après quoi, en présence de cette personnalité, il n'est plus très difficile de deviner quelle sera l'oeuvre.

Conan-Doyle, en effet, est un esprit positif doue d'une imagination aventureuse.

Or, cette imagination ne pouvait se satisfaire que dans l'horreur et l'angoisse, par le jeu des mystères les plus impressionnants : ceux du crime et de la mort. Et, d'autre part, son esprit scientifique ne pouvait se complaire qu'à élucider ces mystères, à y porter ses habitudes d'observation, d'analyse, de déduction rigoureuse.

La vie du corps a ses complications, ce sont les maladies auxquelles doit s'appliquer la sagacité des médecins. De même, la vie sociale a ses complications, qui sont les assassinats, les vols, tous les faits qui relèvent de la justice et tant d'autres qui lui échappent. A ces anomalies correspond l'art des détectives et des agents. Mais la police manque de méthode. Elle procède au hasard, empiriquement, comme un médecin de campagne. Donc, un policier qui serait un savant, voilà le rêve, l'idéal de Conan-Doyle, et c'est pour le réaliser qu'il a créé son Sherlock Holmès, dont il nous a successivement conté, en une demi-douzaine de volumes, les Aventures, les Mémoires, les Nouvelles Aventures, les Nouveaux Exploits, les Souvenirs et, enfin, le Triomphe.

D'ailleurs, il paraît que ce Sherlock Holmès a existé. Je le croirais volontiers, car on n'invente pas de toutes pièces un type de cette envergure.

Sherlock Holmès n'appartient pas à la police officielle. Il est une sorte de policier consultant, de limier amateur, de détective dilettante. C'est un artiste épris de sa propre ingéniosité à démêler les affaires les plus compliquées. Il s'adonne même, avec passion, à tous les autres arts que le sien. Il est un musicien enthousiaste, non seulement comme exécutant, mais comme compositeur. Et, raffinant sa psychologie, son biographe va jusqu'à nous le presenter comme un être violemment contrasté :

La dualité de nature de ce singulier personnage s'affirmait tour à tour. A mon avis, l'extrême exactitude de Holmès et son astuce n'étaient que la réaction contre cet état d'âme poétique et contemplatif qui tendait à le dominer; mais, grâce à l'élasticité de sa nature, il passait rapidement d'une langueur extrême à une énergie dévorante...

De plus, Holmès a le sentiment du bien et de la* justice. Tous ses faits et gestes ont un air de haute moralité. Il songe, le plus souvent, à protéger l'innocence, à punir les coupables, voulant fournir à ses clients un secours effectif, ne voyant pas seulement, dans les affaires dont il est chargé, des énigmes à déchiffrer, mais des crimes à châtier ou à prévenir. Il nous apparaît ainsi comme une sorte de paladin, défenseur de la loi, redresseur de torts, comme un personnage de Dumas père ou même de Fenimore Cooper, qui ferait la chasse dans le monde de Balzac, espèce de d'Artagnan, mitigé de Vautrin et d'Hernani...

Regardez-le, méditant sur une piste :

Sur ce, Holmès se pelotonna sur une chaise, en remontant ses genoux étiques jusqu'à son nez d'aigle, et demeura longtemps ainsi, les yeux fermés, sa pipe de terre noire à la bouche; on eût dit, en le regardant, un de ces étranges oiseaux de proie au bec extraordinairement recourbé.

Son génie, c'est l'observation et sa force, la maîtrise de soi. Il est à la hauteur de toutes les situations, maniant également le revolver et la pince-monseigneur, tout aussi capable de forcer le secret d'une conscience que celui d'un coffre-fort. Dès lors, ayant dessiné avec ses proportions épiques son personnage, l'auteur se trouvait bien à l'aise pour composer ses ouvrages. J'y trouve une trentaine d'affaires, toutes plus « sensationnelles n les unes que les autres, destinées uniquement à mettre en valeur les merveilleuses facultés du sublime policier. Je ne puis entrer dans l'analyse de chacune d'elles. Elles sont, d'ailleurs, toutes construites sur le même modèle, et c'est seulement, comme on dit, l'espèce qui diffère. Le procédé est le suivant :

Soit qu'il s'agisse d'un assassinat, d'un vol, d'un enlèvement, ou encore d'une séquestration, ou de la fuite de quelque document officiel, quelles qu'aient été les complications de ces événements divers, nous voyons toujours arriver chez Holmès, à titre de client, quelque victime ou quelque témoin, qui, ne comprenant rien et s'apeurant de tout, vient solliciter les lumières et le secours du grand maître de l'art. Par là, nous apprenons quelques détails, destinés à montrer combien l'affaire est mystérieuse et compliquée. Alors, Holmès réfléchit, raisonne, dessine dans son esprit l'affaire tout entière, procède à une enquête personnelle, et, par son intervention, tout s'explique, s'illumine, rentre dans l'ordre.

Un exemple, entre quarante : la Seconde Tache.

Un premier ministre et un jeune secrétaire d'Etat sont venus révéler à Holmès qu'une pièce capable de déchaîner les pires complications européennes a été dérobée. Elle a été dérobée dans des circonstances de nature à dérouter toutes les suppositions. Elle était dans un coffret dont le jeune secrétaire a seul la clé, et ce coffret était dans sa chambre à coucher. Le secrétaire est marié, il est vrai, mais sa femme ne s'occupe jamais de politique et personne n'a pu pénétrer dans la chambre, sauf deux domestiques de confiance. Le lendemain, on apprend l'assassinat chez lui d'un attaché d'ambassade, dans des conditions non moins mystérieuses... Y a-t-il corrélation entre les deux événements, la disparition de la pièce, la mort de cet homme? Enfin, par les journaux, on apprend que l'attaché assassiné était, sans qu'on le sût, marié, et que son épouse légitime, restée en France, jalouse et nerveuse, était capable de tout. J'ajoute qu'entre temps, Holmès avait reçu la visite de la femme du secrétaire d'Etat, qui aurait bien voulu savoir de quoi il retournait dans la pièce et qui avait supplié Holmès de ne pas avertir son mari de cette visite clandestine. Tous ces événements, décidément, se tiennent-ils entre eux, et s'il y a cor rélation, comment l'expliquer? Voilà le problème, tel qu'il se pose. Pour le résoudre, il suffit d'un fait, d'un tout petit fait, que seul Holmès remarquera. Or, sur le théâtre du crime, on a découvert « une double tache », c'est-à-dire que la tache de sang marquée sur le tapis ne correspondait pas à la tache de sang marquée sur le parquet (Y êtes-vous ?) On avait déplacé le tapis... Pourquoi faire? (Suivez-vous bien ?) Holmès palpe le parquet et y découvre une cachette, mais vide... On était donc venu, après le meurtre, prendre là la pièce qui y était... Mais qui?... Holmès pense que c'est la femme même du secrétaire d'ambassade... Il lui dit à elle-même sa pensée et la malheureuse est naturellement si troublée qu'elle raconte tout, vaincue... Elle avait, autrefois, écrit une lettre un peu imprudente à l'attaché d'ambassade, qui lui avait promis de la lui rendre en échange de la pièce. Quand elle avait appris l'importance de la pièce et l'assassinat, elle était revenue pour reprendre son bien. Quant à l'assassinat, il s'explique parce que la femme jalouse, en ayant vu une autre et ayant cru à des relations coupables, a tué son mari dans un accès... Ainsi le document est retrouvé, le cas élucidé et Holmès glorifié...


Dans les Mémoires d'un Médecin, Conan-Doyle, rappelant ses propres souvenirs, a abandonné son cher Holmès et s'est efforcé de substituer au tragique de police celui de l'amphithéâtre, ce que rappellerai l'horrible physio:ogique. C'est ainsi qu'il nous raconte la « Première Opération ». Un jeune étudiant doit assister à une intervention chirurgicale qu'un camarade lui dit très grave. Son appréhension est telle qu'il s'obstine à ne rien regarder, et s'évanouit par persuasion. Revenu à lui, il apprend que l'opération n'a pas eu lieu, le malade n'ayant pu supporter le chloroforme. C'est aussi dans ce volume que se trouve la vengeance la plus atroce qu'un mari ait imaginée. Il fait croire à un médecin qu'une femme turque, dont le visage était resté caché, a été mordue par un serpent terrible, mais au venin lent... Il faut seulement couper la lèvre sans toucher le turban. Le médecin la coupe et découvre alors que la femme turque était sa maîtresse. Il n'est donc pas douteux que, dans l'un et l'autre genres, Conan-Doyle soit doué d'une extraordinaire puissance d'invention et d'une singulière habileté dans l'exécution. Mais je ne crois pas douteux non plus que, pour un lecteur français, il soit impossible de ne pas éprouver, à la longue, une impression de monotonie. Les « histoires » sont diverses, sans doute, extrêmement diverses et palpitantes; mais comme, par elles-mêmes, elles n'ont pas grande signification, que les personnages qui y apparaissent ne sont que des rouages du mystère, des pions de la partie jouée par Holmès contre l'inconnu, sans caractère d'intrigue et sans portée sociale, l'unique intérêt mis en jeu est la curiosité, et, parfois, mais assez rarement tout de meme, un peu d'angoisse.

Et vous voyez, maintenant, tout à la fois par où Conan-Doyle est, en effet, très au-dessus de notre littérature mélodra-matique courante et demeure au-dessous du grand Américain dont il a certainement subi l'influence, Edgar Poe, lequel n'a jamais écrit une ligne sans qu'il y courût, à la lettre, un frisson... C'est le frisson qui, ici, manque le plus.

Gaston Rageot