Sherlock Holmes continue...
Sherlock Holmes continue... (Sherlock Holmes continues...) is a Sherlock Holmes pastiche written by Georges de La Fouchardière published in La Liberté (No. 16077) on 4 june 1910.
Sherlock Holmes continue...

Sherlock Holmes laissa son journal et alluma son quinzième cigare.
— Avez-vous remarqué, Watson, les progrès de la criminalité juvénile en France ?
Le docteur Watson ne répondit pas de suite. D'abord il a l'intelligence lente ; ensuite, il n'a pas l'habitude des conceptions générales, car Sherlock Holmes exprime ordinairement des idées concrètes : « Watson, prenons un cab. — Watson le cuir de vos chaussures provient d'un jeune veau décédé de mort violente. — Watson, vous portez des gilets de flanelle ; je l'ai deviné sur le simple examen d'une note de blanchisseuse. »
Cependant, le docteur Watson entama une réponse originale :
— Ces progrès sont effrayants ; les statistiques...
— Rien d'étonnant, interrompit Holmes. On pervertit dès l'enfance l'imagination des jeunes Français : au lieu de leur raconter, comme chez nous, d'intéressantes histoires où il est exclusivement question de roties bien beurrées et de thé bien sucré, on les nourrit de récits malsains comme Le Petit Poucet, Le Chat botté et on leur fait lire ce livre abominable qui s'appelle les Malheurs de Sophie, manuel de tous les méfaits que peut accomplir un enfant au-dessous de dix ans. Plus tard, on les mène voir, au Théâtre-Français, des pièces nouvelles qui sont des instruments effrayants de démoralisation. C'est l'école de l'assassinat : le Cid leur apprend qu'avant d'épouser une jeune fille, c'est un coup de maître que de massacrer son futur beau-père. Et la conclusion d'Horace se formule ainsi : « Pour faire preuve d'héroisme, tue tes trois beaux-frères... »
— Et ta soeur ! acheva Watson.
— C'est ainsi qu'un jeune homme de 16 ans vient d'assassiner une vieille dame rue du Croissant et que nous avons traversé la Manche pour l'arrêter...
— Avez-vous quelques indices ?
Sherlock Holmes ramassa le journal qu'il avait laissé tomber.
— Personne n'a jamais vu l'assassin, Cependant le « Grand Quotidien » donne son portrait. Ça me suffit : il sera arrêté ce soir.
Sherlock Holmes passa à un sujet tout différent en apparence.
— Watson, avez-vous remarqué le rôle énorme que joue la constipation parmi les préoccupations de nos contemporains ?... Le policier ne doit rien négliger. Ouvrez ce journal à la seizième page... bon. Vous voyez une réclame pour des pilules laxatives ; une attestation de guérison définitive, avec le portrait du malade guéri. Regardez bien ce portrait... regardez maintenant la photographie de l'assassin.
— C'est le même ! s'écria le docteur Watson stupéfait.
— Les criminels commettent toujours quelque imprudence, généralisa Sherlock Holmes. Celui-ci, en qui tout bon sentiment n'est pas éteint, a tenu à exprimer sa reconnaissance à l'inventeur des bienfaisantes pilules (j'espère que le jury lui en tiendra compte) ; et il lui a envoyé sa photographie, avec son nom et son adresse. De sorte que nous n'avons plus qu'à aller le prendre à sa porte, à le filer et à le cueillir.
Sans prendre le temps de se costumer en ecclésiastique où en marchand de marrons, comme il le fait en Angleterre, Sherlock Holmes sauta dans un tramway qui passait. Le docteur Watson, qui l'avait suivi, voulut profiter de cette occasion pour se faire expliquer le nouveau tarif ; mais Sherlock Holmes, bien qu'il explique tout, n'est pas sorcier...
— Vous ne comprendriez pas, dit-il... Attention, nous sommes arrivés devant la maison de l'assassin : nous allons l'attendre sous la porte cochère.
Au moment où Sherlock Holmes finissait sa deuxième pipe (c'est toujours à la fin de la deuxième pipe que parait l'assassin), un jeune homme sortit.
Le grand policier serra fortement le bras de son compagnon.
— Suivons-le.
Le jeune criminel, dont l'attitude dénotait une inconscience rare, s'en allait tranquillement, comme un employé qui va à son bureau.
Quelques instants plus tard, le malfaiteur s'arrêta Sherlock Holmes ne put dissimuler un mouvement de stupéfaction : on était devant les bureaux du « Grand Quotidien ».
Cependant, l'assassin entra chez un coiffeur situé de l'autre côté de la rue ; quand il en ressortit, il fallut l'oeil exercé du détective pour le reconnaître.
— Oh! fit le docteur Watson slupéfait ; il s'est fait la tête de M. Fallières !
L'assassin traversa la rue, entra au « Grand Quotidien ».
— Attendons, dit Sherlock Holmes en fronçant le sourcil ; il ne s'agit pas d'un crime ordinaire. Il y à de graves compromissions politiques... il faut prendre toute la bande.
L'assassin sortit du « Grand Quotidien », rentra dans le salon de coiffure.
Lorsqu'il parut de nouveau, on eût juré M. Brisson, en moins gai.
— Qu'est-ce que ça veut dire ?... répétait le docteur Watson.
— Vous n'avez pas besoin de comprendre, dit avec importance Sherlock Holmes, à qui cette réponse attira un regard d'admiration.
L'assassin, après une nouvelle disparition dans l'immeuble occupé par le journal, après une troisième station chez le coiffeur, se montra sous un aspect encore inattendu.
— Oh ! une vieille dame !... mais, mais, Sherlock, c'est la victime !
En effet, le personnage reproduisait d'une façon saisissante les traits, la silhouette, le costume de la vieille femme assassinée rue du Croissant... le cliché publié par le « Grand Quotidien » ne laissait aucun doute à cet égard.
— Je m'y attendais... c'était dans mon plan, affirma le détective, faisant preuve, en cette circonstance, de son toupet bien connu.
Et il ajouta :
— Venez, Watson! Nous le tenons.
Les deux Anglais se précipitèrent dans l'escalier du journal, que venait de monter l'assassin.
— Tout en haut ! Tout en haut ! dit Sherlock Holmes... Je suis la piste... Watson, vous avez bien votre revolver ?...
Le détective se fit très mal en enfonçant, d'un coup d'épaule, une porte qui n'était pas fermée, et tomba dans une pièce qui offrait l'aspect exact d'un atelier de photographe. Un appareil à pied se trouvait là, bien en évidence. L'assassin avait repris sa figure naturelle, et écoutait humblement les instructions du photographe.
— C'est tout pour aujourd'hui, disait celui-ci ; voilà vos cent sous. Venez de bonne heure demain matin ; nous aurons besoin de pas mal de clichés pour les actualités de la première page. Il faudra que vous nous posiez le kronprinz, le pharmacien séquestré, et la concierge de l'abbé Santol.
G. de La Fouchardière.